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Laïcité : « … l’État lui-même … »

« Contre la laïcité… »

Le 9 décembre 1905, la France proclamait la loi de séparation des Églises et de l’État. Cela fait à présent 113 ans que cette loi garantit la liberté de conscience des citoyens tout en ne reconnaissant ni ne subventionnant aucun culte. C’est à partir de cette loi, que l’on a commencé à définir l’État français comme laïque, puisque la société civile et religieuse était désormais séparée définitivement l’une de l’autre.

La laïcité s’est d’abord opposée à l’influence de l’église catholique sur l’État et les citoyens dans le but de préserver la liberté de conscience de chacun, et de s’affranchir de toutes implications et influences du religieux dans les affaires de l’État.

Ce principe de laïcité est assez mal compris en dehors de nos frontières, particulièrement dans les pays anglo-saxons et les pays arabes. En effet, cette laïcité est souvent perçue comme un positionnement antireligieux, voire athée, de l’État français. Cette interprétation provient principalement de deux facteurs. Le premier est historique, et le second philosophique et sémantique.

La séparation des Églises et de l’État, lors de l’application de la loi, ne s’est pas déroulée sereinement, et a conduit à de fortes tensions entre les citoyens français, l’Église catholique, et l’État. Ce conflit du religieux contre le laïc, lorsqu’il opposait les forces de l’ordre aux curés et paroissiens luttant contre le recensement des biens de l’Église, ne démontrait pas, contrairement aux apparences, l’opposition de la laïcité à la croyance religieuse. L’État remettait en cause la place de la religion dans la société civile en s’opposant désormais à toute forme de prosélytisme religieux ou antireligieux.

Ces conflits entre la laïcité et l’Église ont produit, par association, l’idée d’une laïcité antireligieuse.

L’interprétation antireligieuse de la laïcité à l’étranger provient aussi de positionnements philosophiques. La laïcité garantit la liberté de conscience, et de ce fait ne prend pas position sur les idées philosophiques des citoyens. Ainsi, les courants de pensées comme l’athéisme ou l’agnosticisme et la libre pensée sont plus à même d’être acceptés et respectés par l’État, et de ce fait par l’ensemble de la société civile. Ces concepts sont plus difficilement acceptés par les populations anglo-saxonnes et arabes. Ces populations sont globalement plus attachées au religieux dans le sens où la religion représente la morale et la spiritualité qui permet une vie sociale entre les êtres humains. L’athéisme, par exemple, est très mal compris, car la négation de l’existence de divinités remet en cause leurs principes et est perçu comme une philosophie qui produit des individus sans morale et à tendances antisociales.

Pour les pays arabes, il existe une barrière supplémentaire : la barrière de la langue. En effet, il n’existe pas de traduction pour le concept de la laïcité. Le mot se rapprochant le plus en langue arabe signifie « non religieux », mais est aussi synonyme de « antireligieux ».

Durant la première moitié du XXe siècle, la laïcité s’est confrontée principalement au prosélytisme de la religion catholique. Les autres religions, très minoritaires, tiraient plutôt avantage de ce nouvel état laïque. Finalement, la majorité des croyants ont accepté la nouvelle place de la religion en se rendant compte que l’État laïque n’entravait pas la pratique de leur foi. Les autres religions et les courants de pensée non religieux se sont eux aussi émancipés dans ce nouvel ordre qui leur a permis d’obtenir une tolérance accrue de la population par la défense de l’État de la liberté de culte et de conscience.

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la laïcité doit faire face à de nouvelles problématiques. Les religions jusqu’alors minoritaires se sont renforcées par l’augmentation de leurs adeptes et prennent de plus en plus d’assurance dans la vie sociale. Décomplexées par l’esprit de tolérance qu’a permis la laïcité, elles souhaitent être reconnues et obtenir plus de légitimité et d’influence dans l’évolution de la vie au sein de la société.

Ce pluralisme religieux décomplexé entraîne un communautarisme de plus en plus marqué. Les citoyens tendent à s’identifier dans une communauté en exacerbant les différences philosophiques et culturelles. Ce mélange produit aujourd’hui une crise identitaire qui sert de catalyseurs aux désirs d’affirmation, de reconnaissance, et du droit à la différence entre communautés au détriment de la laïcité. Dans ce contexte, la lutte pour la préservation de la laïcité et de plus en plus difficile dans le sens où, chaque action tentant de rétablir l’ordre laïque des choses est attaquée et qualifiée d’atteinte à la liberté et au droit à la différence.

Au nom du droit à la différence, au nom de la paix sociale et de la cohabitation entre les communautés, les principes laïques sont de plus en plus souvent bafoués. L’État doit de plus en plus jongler entre faire respecter la laïcité et préserver la paix sociale.

Il est presque systématique à présent, lors de catastrophes ou accidents provoquant de nombreuses pertes humaines, de voir l’organisation d’obsèques collectives avec une cérémonie dite « œcuménique » en présence d’un représentant officiel de l’État et d’un certain nombre de représentants de confessions religieuses différentes qui officient au détriment des droits spirituels des disparus et de leurs familles.

« … l’État lui-même… »

À l’occasion du centenaire de la loi de séparation des Églises et de l’État, la République a réaffirmé son attachement au principe de la Laïcité. Paradoxalement, les atteintes à la laïcité sont de plus en plus nombreuses, et proviennent à présent également de l’État, de ces gouvernants et représentants.

En 2004, dans un livre intitulé « La république, les religions, l’espérance », Nicolas SAROKY propose que l’État aide la construction d’édifices confessionnels et la création de ministres du Culte. En ce sens, il souhaite réformer la loi de 1905.

En décembre 2007, Nicolas Sarkozy — alors président de la République — lors d’un discours au Palais du Latran tenait ces propos : 

« Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. ». 

Je pense au contraire que les enseignements d’un instituteur de l’école laïque ont plus de chances d’être de hautes valeurs morales en raison de l’absence de conditionnement des consciences dans l’enseignement par opposition à la foi religieuse du curé ou du pasteur.

Le même président de la République récidivait en janvier 2008 à Ryad :

« Le temps n’est plus pour les religions à se combattre entre elles, mais à combattre ensemble contre le recul des valeurs morales et spirituelles (…) ».

Depuis des millénaires, les religions s’affrontent par intolérance mutuelle de leurs valeurs prosélytes. Peuvent-elles à présent réussir seules ? Une laïcité des États ne serait-elle pas plus à même d’obtenir un tel résultat ?

À lire ces deux discours, Nicolas Sarkozy, président de la République, semble vouloir nous faire croire que la religion aurait le monopole des valeurs morales, spirituelles et de l’espérance portée par les valeurs humaines. Ceci constitue, à mon sens, une grave violation du principe de laïcité et, de surcroît, porte un jugement sur les philosophies non religieuses.

Un autre exemple qui a fait couler beaucoup d’encre : les accords Kouchner — Vatican de décembre 2008 qui mettent en place une reconnaissance mutuelle des grades et diplômes des établissements d’enseignement supérieur. Comment des diplômes provenant d’un état prosélyte comme le Vatican peuvent-ils être reconnus implicitement par l’État français par équivalence, sans vérification et validation de contenus et de leurs orientations spirituelles et dogmatique ?

Lors de la polémique de 2010 sur l’expulsion d’occupations illégales de terrains publics, la désignation et la stigmatisation d’une communauté « Rom » à l’intérieur même de notes de service interministérielles, ou de déclaration publique de hauts fonctionnaires constituent des erreurs graves de forme qui amplifient les replis communautaires.

La visite officielle du président de la République au Vatican suivant cette polémique et un affront direct aux principes de la laïcité. Sa rencontre avec le plus haut dignitaire de la religion catholique et les images véhiculées du représentant de la République pratiquant des symboles du culte catholique est une grave entorse de l’État à la loi de 1905 qui stipule que l’État de reconnaît, ni ne subventionne aucun culte.

Cette loi est aussi violée, ou plutôt discrètement contournée, concernant le subventionnement des cultes. Certains maires, dans leurs désirs d’acheter une paix sociale, subventionnent, par la création ou la location à prix symbolique, des salles polyvalentes pour des associations officiellement culturelles, qui servent au final de lieux de culte.

Le communiqué de presse du 22 octobre 2010 de l’assemblée plénière du conseil de la région Rhône-Alpes déclare le financement de la restauration de la basilique de Saint-Augustin d’Annaba en Algérie à hauteur de 450 000 euros, sous la maîtrise d’ouvrage de l’Association Diocésaine Algérienne. Le président du conseil ajoute en introduction de ce communiqué la déclaration suivante : « Il est important, dans nos sociétés tourmentées, de faire un geste de paix et d’apaisement. Il faut construire avec l’Algérie des relations respectueuses. ».

Nous avions été plus épargnés sous le quinquennat Hollande, malgré les débats après les attentats islamistes de 2015, mais Emanuel Macron a repris le flambeau de Nicolas Sarkozy en tant que chanoine de Latran et en le surpassant allègrement son prédécesseur lors de son discours du 9 avril 2018 au Collège des Bernardins.

« Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. »

Réparer le lien entre l’Église et l’État, lien qui est justement rompu depuis le 9 décembre 1905. Loi qu’il envisage d’amender prochainement !

Les entorses directes à la laïcité sont de plus en plus nombreuses de la part de l’État, et les comportements des dirigeants reflètent de plus en plus une négligence totale de ces principes.

« … lutte insidieusement. »

Dans ce climat de crise identitaire, les atteintes à la laïcité provoquée par un communautarisme de plus en plus important, et de surcroît, par l’État lui-même légitimant les dérives communautaires, la société se transforme petit à petit en une confédération de communautés religieuses, ethniques et identitaires.

Les partisans de ce type de société tendent à penser que la religion n’est dangereuse que lorsqu’elle est unique et donc potentiellement totalitaire, mais qu’une fédération de religions permet la cohabitation et la pratique libre de différents cultes.

Cette société en mutation ressemble de plus en plus à une société séculaire à « l’anglo-saxonne » qui ne défend plus la liberté de conscience de ces citoyens et la livre aux prosélytismes des communautés qui la compose.

Est-ce cela la définition de la laïcité « positive » ?

Une société organisée en une telle confédération laisse-t-elle de la place pour l’agnostique, l’athée, l’incroyant ou le libre penseur ?

Ces derniers pourraient-ils ou souhaiteraient-ils être représentés dans une telle société ?

La laïcité représente pour moi une meilleure solution pour garantir la liberté en refusant de reconnaitre des communautés, mais seulement des individus avec une liberté de conscience, des droits et des devoirs. Le communautarisme, à mon sens représente plus une mise sous tutelle des individus et un pouvoir de conditionnement des consciences, car il tend à façonner les consciences conformément à un ordre communautaire.

La laïcité est aujourd’hui un des principes fondamentaux de notre république et prend intégralement part dans sa devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

  • Liberté de conscience
  • Égalité de toutes les philosophies, déiste ou non, devant la république.
  • Fraternité par le respect des opinions philosophiques et religieuses entre les citoyens.

La remise en cause de la laïcité ferait perdre une grande partie de son sens à cette devise, par la perte cet esprit de fraternité des consciences.

La laïcité apporte aussi un élément de stabilité : L’électeur de la république doit être instruit pour que son vote soit effectué avec la liberté de sa conscience. Pour que sa conscience soit libre, il faut que son éducation et son environnement soient laïques afin de se déterminer librement et individuellement.

Pour toutes ces raisons, la laïcité vaut la peine d’être défendue contre toutes les dérivent actuelles.

L’avenir de la laïcité dépend de la volonté et de la capacité de la société à comprendre et à adhérer aux valeurs laïques par la pédagogie et l’apprentissage de cette philosophie sociale.

  • La foi religieuse est une relation personnelle et privée entre la conscience de l’homme et de ses croyances.
  • La laïcité n’est pas un obstacle aux valeurs identitaires et aux particularismes, elle leurs permet de s’affirmer sans qu’ils se fassent mutuellement obstacle et sans qu’ils aboutissent à un enfermement dans et au nom de la différence.
  • La liberté de conscience de chacun, comme la liberté tout court, s’arrête là où celle des autres commence.

TUA — 2010