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Spiritualité et dialectique matérialiste

Si l’intitulé de ce travail est probablement un brin obscur, il me semble important d’y apporter un sous-titre plus explicite, à savoir :

« Marxisme et franc-maçonnerie, le grand malentendu ». 

Car souvent, dans certains milieux politico-syndicaux dits révolutionnaires, où se mêlent léninistes, communistes, staliniens, trotskystes, pablistes, socialistes, anarcho-syndicalistes voire anarcho-staliniens, on entend souvent que la maçonnerie ne serait qu’un outil de collaboration de classe, de corruption des cadres ouvriers, une simple organisation de domination bourgeoise qui nierait et combattrait la lutte des classes et l’analyse des rapports de production capitalistes décrits par Engels et Marx. Pour mémoire, Trotsky : « La franc-maçonnerie est une plaie mauvaise sur le corps du communisme français. Il faut la brûler au fer rouge ». Ce qui démontre que ce cher Léon était un brin soupe au lait et qu’il n’avait certainement pas la culture philosophique et historique de Lénine sur la Révolution française ou la commune. 

Mais au demeurant, dans le camp des légitimistes, des républicains, des réformistes, des sociaux-démocrates, on entend aussi que la maçonnerie serait infiltrée par de dangereux révolutionnaires.

On constate donc que les clivages, les malentendus entre les maçons et certaines organisations dites ouvrières ou de gauche perdurent, bien au-delà de nos traditionnels adversaires que restent les jésuites et leurs bedeaux, les bigots, les nazillons et autres fascistes. 

Il semble donc inconcevable pour certains profanes, voire pour certains maçons, que l’on puisse, dans la même volonté, le même projet d’émancipation de l’humanité, emprunter plusieurs chemins et utiliser plusieurs outils. 

La maçonnerie, du moins celle du Grand Orient de France, propose de transformer le monde et la société en travaillant l’esprit et la matière. Alors pourquoi la voie révolutionnaire ou marxiste serait-elle incompatible avec la voie maçonnique ? 

À mon sens, une des explications possibles c’est que l’on oublie souvent que Marx n’est pas qu’un simple théoricien politique et économique, mais aussi et surtout un philosophe qui a su donner une dimension matérialiste à la dialectique spiritualiste hégélienne. Marx s’inscrit donc dans une méthode, une tradition philosophique qui ne renie pas Platon ou Spinoza, une tradition économique qui ne renie pas Ricardo, mais qui tente d’apporter une réponse pratique, politique au mode d’exploitation capitaliste qu’il considère comme une barbarie. 

Marx et Engels sont donc des révoltés avant d’être des révolutionnaires. Ils refusent le sort que le capitalisme réserve à la majorité des êtres humains : une vie de misère, de souffrance et d’esclavage. Le communisme, dans son sens premier, celui de la commune de Paris, n’est donc pas un but en soi, mais bien un outil d’émancipation, une phase de transition vers une société plus humaniste. Pour Marx, ce sont les conditions matérielles qui créent la conscience. Donc, contrairement à ce que certains proclament, il ne refuse pas la spiritualité, le libre arbitre, mais pose comme préalable, la dimension matérielle de la vie humaine. Marx pense que, pour permettre la survie de l’humanité, il n’y a autre alternative possible que la destruction du capitalisme. Comme l’a proclamé Rosa Luxembourg : « Socialisme ou barbarie » !

Quant à la mise en pratique de ces belles théories, on entend souvent dire qu’elles se sont toutes soldées par des échecs cuisants. C’est nier les apports considérables de la révolution d’octobre 1917 à l’histoire de l’humanité. C’est oublier que le mode de production capitaliste et son cortège de guerres et de misère n’est, bien heureusement, pas indépassable. 

Alors, et la maçonnerie dans tout ça ? 

En tant qu’être humain, en tant que franc-maçon, je partage ce constat : on ne peut vivre pleinement si l’on vit en permanence dans le rêve, les illusions, l’utopie, la soumission et dans l’acceptation, la résignation des inégalités et des injustices. 

Pour moi, la maçonnerie n’est pas l’école de la soumission à un ordre moral, politique ou religieux, mais une méthode d’émancipation individuelle à but collectif. 

Nous avons le devoir, en tant que maçon, de penser sans jamais négliger la réalité matérielle. La philosophie, la pensée pour rester humaine doivent rester réalistes donc conserve une vision matérialiste.

En tant que citoyen, je crois en l’action politique, en l’action syndicale, pas comme un but en soi ni comme une quête de pouvoir, mais bien comme un moyen, un outil pour mettre en pratique mes aspirations, mes valeurs, ma morale, ma spiritualité, ma fraternité. Cette fraternité maçonnique n’est pas une amitié, une camaraderie, mais bien un serment, celui d’être un franc-maçon c’est-à-dire reconnu comme tel par ses frères. Cette fraternité nous permet la liberté absolue de conscience et de parole, nous permet de nous enrichir de nos différents points de vue, de nos différentes expériences. 

Alors, rassembler ce qui est épars, ce n’est pas capituler, c’est au contraire, travailler sans relâche à l’amélioration des conditions matérielles et intellectuelles de l’humanité. 

Soyons fiers du travail accompli, mais ne nous contentons pas de nous satisfaire de notre passé, car dans ce monde rien n’est jamais définitivement acquis : l’IVG, le Code du travail, la loi de 1905… La période actuelle nous le démontre : le cléricalisme, catholique en France, a su faire preuve de patience, a su attendre son heure pour tenter de retrouver son influence passée : une influence croissante sur la politique, l’économie, les syndicats, l’état. 

La République sociale, construite en partie grâce au Grand Orient, « la Gueuse » comme l’appelle les antirépublicains, est attaquée de toute part par le gouvernement : la séparation des églises et de l’État, la liberté d’association, la liberté syndicale, l’école publique gratuite et laïque… C’est l’économie du bien commun et le corporatisme, chers à la doctrine sociale de l’église, qui n’a pour seul but que de sauvegarder les intérêts du capital par la négation de la lutte des classes. 

Alors, mes frères, restons fermes sur nos positions laïques, sur notre constitution. Et je conclurai par ces mots :

Maçon et marxiste, pourquoi pas ?

TUA — 2018